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Blog de recherche

  • Anne Lemétayer
  • 30 avr. 2023
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 12 oct. 2024

Entre les croyants et les athées, il existe d'autres positions possibles. Allons y pour un peu de vocabulaire !


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Signification des mots :


Littéralement, déisme et théisme désignent la même position : celle de quelqu'un qui croit en un dieu. Déisme vient du latin deus : dieu, et théisme vient du grec theos : dieu. Soulignons que ces positions sont des positions philosophiques : il ne s'agit pas d'une croyance, d'un acte de foi, mais d'une position affirmée au terme d'un raisonnement.


Le déiste :


Le philosophe allemand Emmanuel Kant (18e siècle), le définit ainsi : c'est la position philosophique qui affirme l'existence d'un être premier qui est cause du monde, mais qu'on ne peut déterminer avec plus de précision. C'est pourquoi, pour lui, les déistes pratiquent une théologie transcendantale (qui s'appuie sur de purs concepts, sans référence aux concepts que nous avons pu tirer de notre expérience concrète).

Les déistes se désignent ainsi pour se distinguer d'une part des chrétiens, d'autre part des athées. Les premiers affirment aussi l'existence d'un être premier cause du monde, mais ils peuvent déterminer très précisément cet être premier, appelé Dieu, en s'appuyant sur la révélation (Ancien et Nouveau Testaments). Les seconds - les athées - affirment qu'il n'y a pas de dieu : "a" privatif et theos (Dieu, en grec). Il faut d'ailleurs distinguer entre les athées et les agnostiques : les agnostiques n'affirment ni qu'il y a un dieu, ni qu'il n'y en a pas (la gnose désigne le savoir, la connaissance). Pour le dire autrement, reconnaissant qu'on ne peut trancher, ils préfèrent suspendre leur jugement, ne pas se prononcer.

Le déisme a souvent une connotation péjorative : on reproche aux déistes de se borner à "croire en Dieu" (même si la désignation "Dieu" est pour eux déjà trop précise) sans accepter les dogmes et pratiques d'une religion particulière, voire d'être athées. Mais c'est justement cela, être déiste : affirmer l'existence d'un dieu (et non de "Dieu"), sans pouvoir spécifier ce qu'il est, comment il est, quels sont ses attributs.


Le théiste :


Au contraire, on trouvera chez de nombreux philosophes de la religion l'affirmation qu'ils sont théistes. Ce mot vient de l'anglais theism et est apparu vers le 18e siècle. Il a été d'abord synonyme de théiste, puis distingué, et enfin abandonné. Actuellement, on ne parle plus que de théisme. Toujours d'après Kant, le théiste pratique une théologie naturelle : s'appuyant sur un raisonnement, il va plus loin que la seule affirmation de l'existence d'un être premier, et peut déterminer plus précisément les attributs de cet être. Ce raisonnement, fait par la raison que nous possédons naturellement, part de la constitution du monde, de son ordre, de son unité (d'où la qualification de théologie naturelle) ou bien de l'idée qu'on se fait de Dieu (on parlera alors plutôt de théologie rationnelle).

En se servant des raisonnements qu'on appelle "preuves de l'existence de Dieu", le théiste peut ainsi définir l'existence d'un Dieu qui est tout-puissant, parfaitement bon et omniscient. Je choisis ici de mettre une majuscule (ce qui est d'usage la plupart du temps), car cette conception correspond à la conception de Dieu dans les trois religions monothéistes. On peut donc considérer qu'un théiste s'inscrit nécessairement dans un monothéisme. Un théiste n'est donc pas nécessairement chrétien, mais monothéiste. Souvent, les théistes précisent s'ils se considèrent comme seulement théistes, ou s'ils adhèrent également à la révélation juive, chrétienne ou musulmane. Un athéiste, de manière rigoureuse, pourrait donc ne pas être athée, mais seulement s'opposer à la conception théiste de Dieu.

Dans mon sujet de thèse, le problème du mal naît de l'apparente contradiction entre cette conception théiste de Dieu et l'existence du mal.


Mais pourquoi se dire théiste ?


On peut se demander pour quelle raison se déclarer théiste ? Pourquoi ne pas tout simplement dire qu'on est chrétien, juif ou musulman ? La raison est double. Premièrement, se déclarer théiste est une démarche philosophique, rationnelle, et non un acte de foi en une révélation divine. C'est affirmer que par le raisonnement, la conceptualisation, l'argumentation, on peut parvenir à connaître qu'un Dieu existe. C'est très différent (mais peut être complémentaire) avec la démarche qui consiste à affirmer sa foi en Dieu en se basant sur les textes révélés.

Deuxièmement, là où l'affirmation de la foi dans le Dieu juif, chrétien ou musulman peut (je dis bien "peut", tout dépend des interlocuteurs) diviser, opposer, susciter des tensions, l'affirmation rationnelle théiste peut permettre de trouver un terrain d'entente et de discussion où la raison fait autorité. Pour le dire autrement, les philosophes croyants peuvent se retrouver, échanger, débattre, et même tomber d'accord, quand ils adoptent une approche théiste.


Références :


Kant, Critique de la raison pure (1781), I. Théorie transcendantale des éléments, Deuxième partie, Deuxième division, Chapitre 3, 7e section "Critique de toute théologie spéculative" (A631/B659).

  • Anne Lemétayer
  • 15 mars 2023
  • 3 min de lecture

Si philosophie et religion semblent être des mots incompatibles, il y a pourtant une branche de la philosophie qui étudie la religion.


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La philosophie de la religion désigne deux grandes sortes d'études.


Une réflexion philosophique sur les religions :


Dans un premier sens, la philosophie de la religion désigne une réflexion philosophique sur les religions existantes. Premièrement, puisque le pluriel que nous venons d'utiliser insiste sur la pluralité du fait religieux, il s'agit de parvenir à une définition de la religion : peut-on sous un seul concept et sous une seule définition réunir les différentes formes historiques religieuses ? On se demandera alors ce qu'on entend par religion : la croyance en une divinité comprise comme une entité supérieure à l'homme ? un système plus ou moins complexe de rites, de rituels, de règles, de comportements, de gestes, rattachés au sacré, et partagés par une communauté ?

Il s'agit également d'examiner la place que prend la religion dans l'existence humaine en général, dans les sociétés en particulier. Comment justifier son importance ? Celle-ci est-elle en train de décroître, ou au contraire se renforce-t-elle ? On parle ainsi beaucoup, depuis peu, d'un "retour du religieux". Reste à déterminer si "le religieux" était réellement parti... Des explications de type fonctionnaliste vont insister sur l'importance fonctionnelle de la religion pour justifier sa place dans les sociétés humaines. Un auteur comme Freud, par exemple, dira que la religion remplit une fonction affective que nulle autre discipline (science ou philosophie) ne peut remplir, ce qui explique son importance dans la vie des humains.

La question d'une possible religion naturelle est également soulevée : au-delà des religions instituées, peut-on retrouver la trace d'un élan religieux naturel au cœur humain ?


Une théologie philosophique :


Dans un second sens, mais qui est peut-être la pratique la plus ancienne de la philosophie de la religion, cette dernière peut désigner une analyse des fondements philosophiques de la religion. On parle alors de théologie naturelle, rationnelle ou philosophique. Il s'agit d'examiner de façon philosophique, donc rationnelle, avec des arguments, des raisonnements logiques, les questions théologiques. On met alors de côté la théologie révélée (l'autorité des textes sacrés), et on tente de parvenir au même résultat par la seule raison.

Un exemple célèbre est la preuve de l'existence de Dieu. Les philosophes tentent, par un raisonnement, de démontrer qu'il est extrêmement probable que "Dieu" existe. Je mets des guillemets, car ce "Dieu" n'est pas forcément le Dieu chrétien, bien que la plupart des auteurs s'étant essayé à cet exercice aient été chrétiens. Un raisonnement philosophique pourrait donc être une voie d'accès à Dieu.

Plusieurs auteurs s'accordent pour dire que la philosophie de la religion ainsi entendue n'est plus beaucoup pratiquée dans la philosophie continentale (européenne) : seuls quelques irréductibles résistent encore et toujours... La philosophie continentale préférerait la philosophie de la religion entendue au premier sens, voire les sciences religieuses. Ces dernières, rattachées aux sciences humaines, étudient le fait religieux sous divers angles (historique, sociologique, anthropologique, économique...).

Cependant, dans le sens de théologie philosophique, la philosophie de la religion est très vivace dans la philosophie anglo-saxonne (anglaise et américaine). Mon sujet de thèse, qui porte sur la théodicée, s'inscrit dans la théologie philosophique. La théodicée est en effet une démarche rationnelle qui prétend démontrer par des arguments la compatibilité entre l'idée théiste de Dieu (celle qu'on obtient avec les fameuses "preuves" de l'existence de Dieu) et l'existence du mal dans le monde.


Mais pourquoi la religion serait-elle intéressante pour la philosophie ?


Le mot "philosophie" signifie littéralement "amour de la sagesse". Mis à part un intérêt qui semble plus historique ou sociologique, qu'est-ce que la philosophie, spécifiquement, pourrait gagner à étudier la religion ? Comme le suggère Jean Grondin dans La philosophie de la religion, la religion propose des réponses à la question la plus essentielle pour l'humain : celle du sens de la vie. La réponse religieuse soutient que la vie a un sens, qu'elle s'inscrit dans un tout (le monde) organisé par une volonté transcendante (divine), qu'il y a donc un début et une fin, une direction et un terme. En tant qu'elle apporte une réponse à la question du sens de l'existence, la religion ne peut être négligée par une discipline qui, sur ce terrain, lui fait concurrence : la philosophie. Peut-être, comme le demande Jean Grondin, y a-t-il une philosophie au sein des religions, c'est-à-dire une voie recherchant (et menant à ?) la sagesse.


Références :

Introduction à la philosophie des religions, Yann SCHMITT (Ellipses, 2021)

La philosophie de la religion, Jean GRONDIN (PUF, coll. "Que sais-je ?", rééd. 2020)

Le buisson ardent et les Lumières de la raison. L'invention de la philosophie de la religion, Jean GREISCH (Cerf, 2002)

Philosophie de la religion, Leszek KOLAKOWSKI (Fayard, 1985)

  • Anne Lemétayer
  • 8 févr. 2023
  • 3 min de lecture

Si le mot est récent, l'entreprise, elle, est plus ancienne. La théodicée désigne tout simplement un raisonnement philosophique pour résoudre un problème épineux : la contradiction apparente entre l'existence de Dieu et l'existence du mal.


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Le sens du mot :


"Littéralement, une "justification de Dieu", supposé omnipotent et parfaitement bon, pour avoir permis l'apparition du mal, par exemple la douleur et d'autres souffrances."

C'est ainsi que Richard Swinburne, un philosophe anglais, définit la théodicée dans son article "Theodicy" du Companion to Metaphysics. Richard Swinburne fait partie des philosophes contemporains qui proposent unethéodicée.


Le mot théodicée est d'apparition récente dans l'histoire de la philosophie, puisque c'est le philosophe allemand Leibniz (1646-1716) qui le forge à l'occasion de la parution de ses Essais de Théodicée, sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal, en 1710. Il invente ce mot en fusionnant deux mots grecs : theos, qui signifie Dieu, et dikè, qui signifie justice. La théodicée est le plaidoyer que fait le philosophe en faveur de Dieu, au procès où l'on accuse ce dernier d'avoir permis l'existence du mal : son avocat le justifie par un plaidoyer philosophique qui le lave de tout soupçon.


Le problème :


Si le mot est récent, le problème est ancien. Lactance (260-325 env.), un auteur chrétien, attribue à Epicure (342-270 av. J.-C.), philosophe grec, la formulation du problème :


"Dieu, ou bien veut supprimer les maux et ne le peut ; ou bien le peut et ne le veut ; ou bien il ne le veut ni ne le peut, ou bien il le veut et le peut. S'il le veut et ne le peut, il est faible, ce qui ne peut échoir à Dieu ; s'il le peut et ne le veut, il est malveillant, ce qui également étranger à Dieu ; s'il ne le veut ni ne le peut, il est à la fois malveillant et faible, et partant n'est pas Dieu ; s'il le veut et le peut, ce qui seul convient à Dieu, quelle est donc l'origine des maux, ou pourquoi ne les supprime-t-il pas ?" Lactance, De ira Dei, §13

Cette formulation du problème est désormais devenue classique. Remarquons que "Dieu" ici ne désigne pas nécessairement le Dieu chrétien, puisqu'Epicure n'était en aucun cas chrétien, ayant vécu au IIIe siècle avant Jésus-Christ.


1°) Dieu a la volonté de supprimer le mal, mais ne le peut pas : cela signifie qu'il n'est pas tout-puissant, ce qui est contradictoire avec l'idée qu'on se fait de Dieu.

2°) Dieu a le pouvoir de supprimer le mal, mais il ne le veut pas : cela signifie qu'il n'est pas bon, ce qui est contradictoire avec l'idée qu'on se fait de Dieu.

3°) Dieu ne veut pas supprimer le mal et il ne le peut pas : on cumule tout simplement la 1°) et la 2°), et cela est toujours contradictoire avec l'idée qu'on se fait de Dieu.

4°) Dieu veut supprimer le mal et il peut le supprimer : mais alors, pourquoi le mal existe-t-il ?


Quelle que soit l'option choisie, chacune tend à faire de l'existence du mal un argument contre l'existence de Dieu, ou du moins contre l'existence d'un Dieu bon ou tout-puissant. Autrement dit, l'existence du mal serait une objection puissante contre la foi, et un argument en faveur de l'athéisme.


La réponse :


Le philosophe qui propose une théodicée prend donc la défense de Dieu face à ces attaques, en montrant que l'existence du mal n'est pas incompatible avec l'existence d'un Dieu parfaitement bon et tout-puissant. Je ne développerai pas dans cet article les différents arguments possibles : il y en a tellement selon les philosophes, que je consacrerai plutôt une présentation à chacun. Je ferai d'ailleurs de même avec ceux qu'on nomme les anti-théodicistes, c'est-à-dire les philosophes qui critiquent les tentatives de théodicée. Evoquons simplement quelques philosophes de référence quand on parle de théodicée :

- Augustin d'Hippone (354-430), dans L'ordre et Le Libre arbitre

- Malebranche (1638-1715), dans le Traité de la nature et de la grâce (1680) et les Entretiens sur la métaphysique et sur la religion (1688)

- Leibniz (1646-1716), dans Essais de Théodicée (1710)



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