Entre les croyants et les athées, il y a d'autres positions. Allons y pour un peu de vocabulaire !
Le déiste :
"Déisme" est un mot apparu au 16e siècle. Le philosophe allemand Emmanuel Kant (18e siècle), le définit ainsi : c'est la position philosophique qui affirme l'existence d'un être premier qui est cause du monde, mais qu'on ne peut déterminer avec plus de précision. C'est pourquoi, pour lui, les déistes pratiquent une théologie transcendantale (qui s'appuie sur de purs concepts, sans référence aux concepts que nous avons pu tirer de notre expérience concrète).
Les déistes se désignent ainsi pour se distinguer d'une part des chrétiens, d'autre part des athées. Les premiers affirment aussi l'existence d'un être premier cause du monde, mais ils peuvent déterminer très précisément cet être premier, appelé Dieu, en s'appuyant sur la révélation (Ancien et Nouveau Testaments). Les seconds - les athées - affirment qu'il n'y a pas de dieu : "a" privatif et theos (Dieu, en grec). Il faut d'ailleurs distinguer entre les athées et les agnostiques : les agnostiques n'affirment ni qu'il y a un dieu, ni qu'il n'y en a pas (gnose désigne le savoir, la connaissance). Pour le dire autrement, incapables de trancher, ils préfèrent suspendre leur jugement, ne pas se prononcer.
Le déisme a souvent une connotation péjorative : on reproche aux déistes de se borner à "croire en Dieu" (même si la désignation "Dieu" est pour eux déjà trop précise) sans accepter les dogmes et pratiques d'une religion particulière. Mais c'est justement cela, être déiste : affirmer l'existence d'un dieu (et non "de Dieu"), sans pouvoir spécifier ce qu'il est, comment il est, quels sont ses attributs.
Le théiste :
Au contraire, on trouvera chez de nombreux philosophes de la religion l'affirmation qu'ils sont théistes. Ce mot vient de l'anglais theism et est apparu vers le 18e siècle. Toujours d'après Kant, le théiste pratique une théologie naturelle : s'appuyant sur un raisonnement, il va plus loin que la seule affirmation de l'existence d'un être premier, et peut déterminer plus précisément les attributs de cet être. Ce raisonnement part de la constitution du monde, de son ordre, de son unité (d'où la qualification de théologie naturelle).
En se servant des raisonnements qu'on appelle "preuves de l'existence de Dieu", le théiste peut ainsi définir l'existence d'un Dieu qui est tout-puissant, parfaitement bon et omniscient. Je choisis ici de mettre une majuscule (ce qui est d'usage la plupart du temps), car cette conception correspond à la conception de Dieu dans les trois religions monothéistes. On peut donc considérer qu'un théiste s'inscrit nécessairement dans un monothéisme. Dans mon sujet de thèse, le problème du mal naît de l'apparente contradiction entre cette conception théiste de Dieu et l'existence du mal.
Un théiste n'est donc pas nécessairement chrétien, mais monothéiste. Souvent, les théistes précisent s'ils se considèrent comme seulement théistes, ou s'ils adhèrent également à la révélation juive, chrétienne ou musulmane. Un athéiste, de manière rigoureuse, pourrait donc ne pas être athée, mais seulement s'opposer à la conception théiste de Dieu.
Mais pourquoi se dire théiste ?
On peut se demander pour quelle raison se déclarer théiste ? Pourquoi ne pas juste dire qu'on est chrétien, juif ou musulman ? La raison est double. Premièrement, se déclarer théiste est une démarche philosophique, rationnelle. C'est affirmer que par le raisonnement, la conceptualisation, l'argumentation, on peut parvenir à connaître qu'un Dieu existe. C'est très différent (mais complémentaire) avec la démarche qui consiste à affirmer sa foi en Dieu en se basant sur les textes révélés.
Deuxièmement, là où l'affirmation de la foi dans le Dieu juif, chrétien ou musulman peut (je dis bien "peut", tout dépend des interlocuteurs) diviser, opposer, susciter des tensions, l'affirmation rationnelle théiste peut permettre de trouver un terrain d'entente et de discussion où la raison fait autorité. Pour le dire autrement, les philosophes croyants peuvent se retrouver, échanger, débattre, et même tomber d'accord, quand ils adoptent une approche théiste.
Il est bien évident que c'est une approche qui, je le répète, est complémentaire dans la vie d'un individu d'une approche par la foi.
Le texte de Kant auquel j'ai fait allusion deux fois est dans la Critique de la raison pure (1781), I. Théorie transcendantale des éléments, Deuxième partie, Deuxième division, Chapitre 3, 7e section "Critique de toute théologie spéculative" (A631/B659).
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