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Blog de recherche

  • Anne Lemétayer
  • 11 oct.
  • 5 min de lecture

Ce qu'on appelle le problème du mal est un problème ancien qui n'est pas exclusif aux monothéismes. La preuve : Sénèque, philosophe stoïcien romain du premier siècle après Jésus-Christ, aborde déjà ce problème.


De la Providence


Sénèque aborde le problème du mal dans une lettre à Lucilius intitulée De la Providence et rédigée entre 37 et 65 ap. J.-C.. Le mot Providence désigne la divinité en tant qu'elle se soucie du monde et le gouverne avec sagesse, bonté et justice. Or, Lucilius a demandé à Sénèque : s'il est vrai qu'il existe une Providence qui gouverne le monde, pourquoi "des hommes de bien sont si souvent atteints par des maux" ? C'est donc la justice de Dieu qui est remise en cause : si Dieu était juste, alors il gouvernerait le monde en distribuant équitablement les biens et les maux, c'est-à-dire en dispensant ses bienfaits aux hommes de bien, et en laissant les méchants subir toutes sortes de maux. Il y a d'emblée une idée de justice distributive (c'est-à-dire distribuant proportionnellement les biens selon les mérites) et rétributive (si je fais le bien, je suis récompensé par des biens, si je fais le mal, je suis puni par des maux). Or, nous constatons plutôt une répartition injuste des biens et des maux. Il nous faut donc conclure a minima que le gouvernement de la Providence n'est pas juste.

Cette façon de poser le problème est aussi celle de Leibniz, dans ses Essais de Théodicée, qui montre que l'existence du mal, et surtout la répartition des maux, remet en cause la justice divine : "comment un principe unique, tout bon, tout sage et tout-puissant a pu admettre le mal, et surtout comment il a pu permettre le péché, et comment il a pu se résoudre à rendre souvent les méchants heureux et le bons malheureux ?" (Discours préliminaire, §43). C'est pourquoi la théodicée est une défense de la justice (dikè) de Dieu (Theos).


De plus, Sénèque annonce qu'il va se faire "l'avocat des dieux". Ceci également est une façon classique de concevoir le rôle du philosophe qui entreprend une théodicée : il est l'avocat de Dieu et plaide en faveur de la justice divine, comme le dit Leibniz : "c'est la cause de Dieu qu'on plaide" (Préface).


Le mal comme épreuve formatrice des gens de bien


Sénèque commence par soutenir que rien n'arrive sans raison sur cette terre, c'est-à-dire que les phénomènes naturels ont tous une cause - cause qui se trouve dans les lois naturelles instaurées par la volonté divine. La Providence est donc à l'œuvre dans la nature. Cependant, reconnaît Sénèque, ce n'est pas vraiment ce qui est questionné par Lucilius : il ne doute pas qu'il existe une Providence, mais doute plutôt de sa justice.

Sénèque affirme alors que les dieux "sont excellents pour les hommes excellents". Dieu traite les hommes de bien comme ses fils, ce qui signifie aussi qu'il les traite plus durement que les méchants. Ainsi, les maux qui assaillent les hommes de bien sont des épreuves, de la même façon que les sportifs entretiennent leurs forces et leurs techniques, non en étant oisifs, mais en s'entraînant et luttant contre les adversaires aussi forts, voire plus forts, qu'eux : "L'or est éprouvé par le feu, les hommes forts par le malheur." En faisant ainsi, Dieu se conduit envers les hommes de bien comme un père envers ses enfants, qui les pousse toujours plus, et non comme une mère qui les infantilise en voulant sans cesse les protéger et leur épargner toute peine. Sénèque peut donc conclure que les malheurs sont profitables aux hommes de bien, à la fois parce qu'ils développent leur vertu et parce qu'ils leur offrent l'occasion de prouver leur vertu. Il a cette phrase qui est devenue une citation célèbre par le biais du Cid de Corneille : "Il sait qu'à vaincre sans péril on triomphe sans gloire."


Cette conception des maux comme des tests, des épreuves visant à entraîner, augmenter la vertu des hommes de bien est une explication très classique dans les théodicées. On la retrouve par exemple dans la théodicée de Richard Swinburne, Providence and the Problem of Evil (1998, chap. 9) : "un mal naturel particulier, comme une douleur physique, donne au souffrant un choix : soit d’endurer avec patience, soit de se lamenter sur son sort. Son ami peut choisir soit de lui montrer de la sympathie, soit d’être insensible. La douleur rend possible ces choix, qui sans elle n’existeraient pas. […] Si je suis patient avec ma souffrance, vous pouvez choisir de m’encourager ou de louer ma patience ; si je m’apitoie sur mon sort, vous pouvez m’apprendre, par un discours et par l’exemple, que la patience est une bonne chose. Si vous me montrez de la sympathie, j’ai alors la possibilité de vous montrer de la gratitude. »


Les malheurs sont profitables à tout le genre humain


Concernant cet argument, Sénèque est plus bref : le fait de voir comment les gens de bien parviennent à faire face aux malheurs en se conduisant de façon vertueuse est un encouragement pour chacun d'entre nous à faire de même.


Les hommes de bien acceptent les malheurs


Sénèque soutient ensuite que les gens bons non seulement acceptent, mais recherchent, veulent, sont d'accord pour subir toutes ces épreuves : "Les hommes de bien travaillent, se sacrifient, sont sacrifiés, et d'ailleurs ils le veulent". Mais pourquoi ont-ils une telle attitude ? Ils sont consentants parce qu'ils savent que tout se déroule conformément à la volonté de la Providence. Tout arrive selon une raison - comme l'avait dit Sénèque dès le départ. Il n'y a pas de hasard, mais un ordre des choses qui se déroule implacablement. Il ne s'agit pas juste d'accepter que les choses arrivent comme elles arrivent, dans une sorte de résignation ou de fatalité ; mais bien de vouloir que cela arrive ainsi, de dire "oui", de "s'offrir au destin". Ceci constitue un point central dans la philosophie stoïcienne.


Ce qui nous paraît être un malheur n'en est pas réellement un


Sénèque conclut en distinguant entre les véritables malheurs et les malheurs apparents. En effet, pour les stoïciens, ce qui constitue notre véritable personne, ce n'est pas notre corps, mais notre âme. La vertu est le seul véritable bien, le vice le seul véritable mal. Les malheurs dont nous parlons depuis le début ne touchent que notre corps : les maladies, les accidents, les catastrophes naturelles qui nous blessent, nous amputent ou nous tuent. Un véritable mal pour un stoïcien serait plutôt d'être un débauché, de désirer posséder ce qui appartient à un autre, d'avoir des pensées meurtrières, etc. Si les malheurs qui nous frappent n'entament pas notre vertu, alors ils ne sont pas véritablement des maux.


Evidemment, on pourrait questionner Sénèque en lui disant : s'il n'y avait pas autant de dangers (comme les maladies, les catastrophes naturelles) et de méchanceté, alors il n'y aurait pas besoin d'entraîner les hommes de bien pour qu'ils développent leurs vertus et parviennent à faire face aux maux. Mais c'est là une autre partie du problème à laquelle Sénèque ne s'attaque pas dans son essai: pourquoi Dieu a-t-il créé un monde contenant autant de maux naturels et des humains capables de commettre le mal ?


Référence : Les Stoïciens, tome II, Gallimard (1962)

  • Anne Lemétayer
  • 21 déc. 2024
  • 7 min de lecture

L'argument du dessein fait partie de ce qu'on appelle "les preuves de l'existence de Dieu". De nombreuses critiques en ont été faites. Richard Swinburne en propose une formulation formellement valide.


Livres rangés dans une bibliothèque
Image par Michal Jarmoluk de Pixabay.

Les preuves de l'existence de Dieu :


Il existe en philosophie de la religion ce qu'on appelle des "preuves de l'existence de Dieu" qui, comme je l'explique ici, ne sont pas des preuves au sens scientifique ou juridique du terme, mais des arguments. Comme pour tout argument, les philosophes théistes ont tenté, au cours des siècles, d'en donner des formulations qui respectent les règles de l'argumentation. D'autres, les philosophes athées, leur ont adressé des objections. Il existe différents types d'arguments en faveur de l'existence de Dieu. L'argument du dessein fait partie des arguments téléologiques, c'est-à-dire des arguments qui mettent en jeu la finalité apparente du monde. Le mot "dessein" désigne le projet, l'intention.

Richard Swinburne, un philosophe britannique contemporain majeur en philosophie de la religion, a récemment proposé une formulation précise et formellement valide de cet argument. Je propose d'en faire un compte-rendu en suivant la lecture de son article "The Argument from Design" paru dans la revue Philosophy, n°43 en 1968. Yann Schmitt en a donné une traduction dans Philosophie de la religion. Dieu, le mal, la croyance, Cyrille Michon et Roger Pouivet (Paris, Vrin, 2e éd. 2010).


Présentation de l'argument du dessein :


Swinburne soutient que, si l'on formule correctement l'argument du dessein, c'est-à-dire en respectant les règles de l'argumentation sur les questions de fait, alors aucune objection concernant la forme de cet argument n'est valide. Il propose donc une construction de cet argument de telle sorte que, si l'on veut l'attaquer, on ne puisse le faire que du dehors, sans prendre en faute le raisonnement lui-même.

Tout d'abord, l'argument du dessein consiste à partir du constat de l'ordre ou de la régularité des choses du monde, et à en conclure que cette régularité est l'œuvre délibérée d'un agent rationnel, sans corps, libre, très puissant. Il y a donc trois étapes dans l'argument : l'affirmation de départ, qu'on appelle la prémisse, puis la justification qui permet de conclure.


La prémisse de l'argument du dessein :


Concernant la prémisse, c'est-à-dire l'affirmation "il y a une régularité ou un ordre dans le monde", il faut commencer par distinguer deux sortes de régularité. La première est la régularité d'ordre spatial, comme par exemple les livres d'une bibliothèque, présents en même temps dans le même espace, qui sont rangés par ordre alphabétique. La deuxième est la régularité d'ordre temporel, qui porte sur les successions de phénomènes, comme par exemple lorsque vous conduisez une voiture (ou une moto, un vélo, une trottinette, peu importe) et que vous tournez le volant, cela tourne les roues et modifie la trajectoire de la voiture. Ces deux exemples portent sur des régularités causées par les humains, mais l'argument du dessein portera évidemment sur les régularités naturelles.


Partir des régularités temporelles dues aux lois de la nature :


Swinburne propose de construire l'argument du dessein uniquement sur la régularité temporelle ou de succession, c'est-à-dire la régularité du monde qui concerne les lois de la nature. Pourquoi ? Parce que la régularité spatiale peut s'expliquer par une explication scientifique normale : il n'est donc pas nécessaire de faire appel à l'existence d'un agent rationnel très puissant pour l'expliquer. Or, l'idée de l'argument du dessein est justement de montrer que, sans l'hypothèse d'un Dieu, on ne peut expliquer de manière satisfaisante l'ordre du monde qu'on constate.

Pour le dire autrement, il n'est pas pertinent de commencer l'argument en donnant comme exemple l'arrangement subtile des organes d'un corps. Beaucoup diront par exemple : "Regardez comment est constitué l'œil, de quelle façon tous ses éléments différents (cellules de la rétine, iris, pupille, orbite, nerf optique) s'emboîtent et se coordonnent de telle sorte que l'œil voie ! Ce ne peut être que le produit d'une volonté divine." Justement, dit Swinburne, cela peut être dû à autre chose. En effet, on peut expliquer cet ordre spatial par la théorie de l'évolution par sélection naturelle, telle que présentée par Darwin. Nul besoin donc de se rabattre sur l'hypothèse "Dieu existe", ou "il existe un agent rationnel très puissant et libre qui est responsable de l'ordre du monde."

Donc, la prémisse est précisément : il existe une régularité de succession ou temporelle dans le monde, qui est due à l'opération des lois de la nature.


La justification de l'argument :


Passons à présent au "milieu" de l'argument, à sa justification, qui nous mènera à la conclusion. Comment expliquer qu'il existe une telle régularité due aux lois de la nature elles-mêmes régulières? S'il est possible d'expliquer l'ordre spatial par les lois de la nature (comme nous l'avons dit ci-dessus de l'organisation de l'œil expliquée par la théorie de l'évolution par sélection naturelle), il n'est pas possible d'expliquer l'ordre temporel dû à des lois naturelles en faisant référence à autre chose qu'une autre loi naturelle plus générale. Mais alors, on ne fait que reculer la question. Prenons un exemple : Galilée a formulé la loi sur la chute libre des corps. Cette loi explique les régularités de succession telles que "je lâche un objet, il tombe". Mais comment expliquer la régularité d'une telle loi ? Newton, avec sa loi de l'attraction universelle, propose une explication en donnant une loi naturelle plus générale qui englobe la loi de la chute libre des corps. Mais la question revient : comment expliquer la régularité de la loi de l'attraction universelle ? Il faudrait remonter à nouveau à une loi plus générale encore, et ainsi de suite, jusqu'aux lois fondamentales. Mais ces dernières sont elles aussi régulières ! Deux possibilités s'offrent alors à nous : soit accepter cette régularité fondamentale comme un fait brut, sans explication, soit chercher une explication à ce fait.

Or, Swinburne explique qu'il ne peut y avoir que deux explications possibles :

  • l'explication par causalité scientifique, autrement dit par une loi de la nature plus fondamentale: mais nous venons de voir que nous sommes déjà rendus au niveau des lois fondamentales.

  • l'explication par causalité libre, autrement dit par l'action d'un agent libre opérant un choix rationnel : nous nous servons de ce genre d'explication quand nous demandons raison des actions humaines.

Si la première explication est impossible, et que seule la seconde reste en lice, et qu'elle est elle-même valide, alors nous pouvons sans erreur logique accepter la seconde explication. Comme il y a certaines régularités de succession qui s'expliquent par l'action d'un agent libre, comme par exemple les livres d'une bibliothèque rangés par ordre alphabétique, et comme nous ne disposons pas d'une explication plus satisfaisante (notre deuxième possibilité était seulement d'accepter comme un fait brut l'existence de régularités fondamentales), nous pouvons postuler que toutes les régularités ont pour cause l'action d'un agent rationnel.

Voici notre conclusion justifiée. Il reste cependant à la formuler précisément, ce que je fais (toujours en suivant Swinburne), dans le paragraphe suivant.


Ce que montre l'argument du dessein :


Que prouve précisément l'argument du dessein ? Il prouve qu'un agent rationnel existe, qui n'a pas de corps, qui est libre, qui est très puissant (plus puissant que les humains) et qui est le responsable de la régularité des lois naturelles dans le monde. On peut admettre qu'une telle définition correspond à ce qu'on entend en général par "dieu".

Agent rationnel, c'est-à-dire doué de raison. Sans corps, parce que le corps limite ce qu'on peut contrôler directement. Or cet agent contrôle toutes les parties de l'univers, donc il ne peut être incarné. Très puissant n'est pas synonyme de tout puissant. Il est juste nécessaire à l'argument que cet agent rationnel soit beaucoup plus puissant que les humains. Donc cet argument ne montre pas que le "finalisateur du monde" est omnipotent, omniscient ou parfaitement bon. Il ne montre pas non plus que ce "finalisateur du monde" est le Dieu de la révélation, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.


Faut-il pour autant, lorsqu'on est croyant (juif, chrétien ou musulman), rejeter cet argument au prétexte qu'il ne montre pas qu'un Dieu omnipotent, omniscient et parfaitement bon existe ? ou que le Dieu de la révélation existe ? Swinburne estime que non : il faut concevoir les arguments en faveur de l'existence de Dieu comme un système à différentes pièces qui se complètent. L'argument du dessein permet de montrer un certain point. Mais il ne fonctionne pas seul, ou du moins, seul il fonctionne de façon limitée : il a besoin d'être complété par les autres arguments. Pris tous ensemble, ils forment un tout cohérent qui permet de fonder la foi théiste.


Faiblesse de l'argument du dessein :


L'objectif de Swinburne est de prouver que l'argument du dessein, s'il est bien construit, ne contient aucune erreur dans sa forme. Si l'on veut l'attaquer, lui adresser des objections, on ne peut le faire en pointant une erreur logique dans le raisonnement. Formellement, il est valide. Swinburne tente, à la fin de son article, de montrer que la plupart des objections adressées à l'argument du dessein sont en réalité adressées à un argument formulé à partir d'une prémisse basée sur les régularités spatiales. Mais ces objections ne tiennent pas si la prémisse est basée sur les régularités de succession.

Cependant, l'argument du dessein a bien une faiblesse : sa faiblesse tient au fait qu'il est un argument par analogie. Une analogie est une comparaison entre deux rapports. Les A sont causés par les B. Les A* sont similaires aux A. Donc, en l'absence d'explication plus satisfaisante, nous pouvons inférer que les A* sont produits par des B*, similaires aux B. Dans notre cas, l'analogie se fait entre le rapport des agents humains à leurs actes, et le rapport d'un agent rationnel à l'ordre du monde. Tout comme l'homme est responsable de certaines régularités spatiales et temporelles dans le monde, un agent rationnel est responsable de toutes les régularités du monde.

Or, on pourrait attaquer l'argument en soutenant que l'analogie est trop faible, ce qui affaiblit la probabilité de la conclusion. Pourquoi cette analogie est-elle faible ? Elle l'est à cause des différences entre les effets (certaines régularités artificielles causées par les humains, toutes les régularités causées par les lois de la nature) qui entraînent des différences entre les causes (les humains, peu puissants et incarnés, et l'agent rationnel très puissant et non incarné).

Donc, si l'on veut s'opposer à l'argument du dessein tel qu'il est formulé par Swinburne, ce dernier soutient qu'on ne peut lui reprocher une erreur logique, que son inférence à partir des lois naturelles est correcte, mais qu'on peut lui objecter la faiblesse de l'analogie. Cependant, le défenseur de l'argument aura tendance à souligner que les similitudes sont plus nombreuses que les différences, quand l'opposant fera l'inverse. Le défenseur de l'argument pourra alors toujours arguer que cet argument du dessein ne fonctionne pas seul, mais qu'il est lié à d'autres arguments (cosmologiques, ontologiques) eux aussi logiques, et conduisant à une conclusion plus ou moins semblable. La faiblesse d'une partie du système ne permet pas de conclure à la faiblesse du système dans son entier.

  • Anne Lemétayer
  • 13 oct. 2024
  • 4 min de lecture

Les théistes affirment qu'il existe des preuves de l'existence de Dieu. Des philosophes athées les réfutent. De quoi parle-t-on quand on parle de "preuves de l'existence de Dieu" ?


Loupe posée à côté d'un livre relié en cuir.
Livre et loupe. MasterTux de Pixabay

Des arguments plus que des preuves :


Tout d'abord, il faut préciser ce que l'on entend par "preuve". En effet, il ne s'agit pas de preuves au sens juridique ou scientifique du terme. Une preuve scientifique consisterait en une démonstration rigoureuse (de type mathématique) ou en un protocole expérimental échouant à invalider telle ou telle hypothèse (comme en physique, en chimie). Ce type de preuves n'est pas possible au sujet de Dieu : on ne peut ni faire une démonstration mathématique, ni mettre en place un protocole expérimental pour constater son existence.

Il serait donc plus exact de parler d'arguments en faveur de l'existence de Dieu. Thomas d'Aquin, dans sa Somme de théologie, parle de "voies" empruntées par la raison humaine. Il existe une branche de la philosophie, la métaphysique, qui s'intéresse à des concepts qui dépassent (le grec meta signifie "au-dessus") le domaine du monde physique, tels que Dieu, l'âme, la liberté. On appelle théologie philosophique la discipline qui tente, avec le seul recours de la raison, d'élaborer des raisonnements logiques menant à l'affirmation que Dieu existe. On peut la subdiviser en théologie naturelle, qui part de constats sur le monde pour en conclure que Dieu existe, et en théologie rationnelle, qui part de la définition de Dieu pour en conclure son existence. Mais cette subdivision n'est pas déterminante : les termes "théologie naturelle" et "théologie rationnelle" sont interchangeables. Son ancienneté est celle de la philosophie, puisqu'on trouve déjà des tentatives de preuves chez les philosophes grecs de l'Antiquité (Platon ou Aristote, par exemple).


Les arguments a posteriori de la théologie naturelle :


Un argument a posteriori signifie que l'on part des données de l'expérience pour construire un argument. On élabore ainsi un raisonnement de type inductif : on remonte de l'expérience à une vérité qui permet d'expliquer cette expérience. On distingue traditionnellement deux arguments a posteriori de l'existence de Dieu : l'argument physico-théologique (ou téléologique) et l'argument cosmologique.


L'argument physico-théologique :

Aussi appelé téléologique, du grec telos : la fin, parce qu'il part de la considération de l'agencement de la nature, de son ordre, de son ajustement apparemment exceptionnel qui permet le développement de la vie. Le monde se présente à nous sous la forme d'une nature organisée, fonctionnant selon des lois stables. Il tente de montrer que cet arrangement extraordinaire ne peut avoir pour origine des causes mécaniques, purement naturelles, mais que cette origine doit être un être intelligent. Donc Dieu existe.


L'argument cosmologique :

Cet argument part du constat de la contingence du monde (le grec cosmos est pris ici au sens de monde au sens large). C'est pourquoi on l'appelle aussi argument a contingentia mundi. Que signifie que le monde est contingent ? Cela veut dire qu'il aurait pu être autrement, voire qu'il aurait pu ne pas être. Cet argument tente de montrer que ce qui existe a besoin d'une cause pour exister, et que cette cause ne peut être naturelle, mais qu'elle doit nécessairement être surnaturelle. Il faut donc chercher hors du monde sa raison d'être ainsi et pas autrement. On en conclut qu'il existe un créateur intelligent du monde qui a décidé de le faire advenir à l'existence, et de le faire de cette façon. Donc Dieu existe.


Les arguments a priori de la théologie rationnelle :


Un argument a priori signifie que l'on se place en amont de toute expérience, avant toute expérience. On part de l'idée de Dieu telle qu'elle se présente à notre esprit, et on en infère son existence. On pourra ainsi dire que Dieu est conçu comme un être parfait. Or, on ne peut concevoir un être parfait pour lequel l'existence ne serait pas nécessairement incluse dans sa définition, puisque cela serait une imperfection. Donc Dieu existe.

Kant a nommé cet argument "ontologique", du grec ontos : l'être (ici l'être de Dieu). C'est particulièrement ce dernier argument qui a fait coulé beaucoup d'encre philosophique depuis des siècles, tant du côté des philosophes tentant de donner une version valide de cet argument, que du côté des philosophes tentant de les réfuter.


Je me propose d'entrer dans le détail de tel ou tel argument, et de sa formulation donnée par tel ou tel philosophe, dans des articles dédiés, pour ne pas alourdir ce post.


Les arguments contre l'existence de Dieu :


Tout comme il existe une théologie philosophique, il existe une athéologie philosophique. L'athéologien, par le recours de la raison, réfute les arguments en faveur de l'existence de Dieu. L'un des arguments les plus invoqués est celui du mal. Dieu étant défini comme tout-puissant et parfaitement bon, le mal ne devrait pas exister. Or il y a du mal. Donc Dieu n'existe pas (ou alors il n'est pas tout-puissant, ou pas parfaitement bon, ce qui dans les deux cas contredit la conception théiste de Dieu). C'est pour répondre à cet argument du mal que les philosophes élaborent des théodicées.


Références :


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