top of page

Blog de recherche

Anne Lemétayer

L'argument du dessein fait partie de ce qu'on appelle "les preuves de l'existence de Dieu". De nombreuses critiques en ont été faites. Richard Swinburne en propose une formulation formellement valide.


Livres rangés dans une bibliothèque
Image par Michal Jarmoluk de Pixabay.

Les preuves de l'existence de Dieu :


Il existe en philosophie de la religion ce qu'on appelle des "preuves de l'existence de Dieu" qui, comme je l'explique ici, ne sont pas des preuves au sens scientifique ou juridique du terme, mais des arguments. Comme pour tout argument, les philosophes théistes ont tenté, au cours des siècles, d'en donner des formulations qui respectent les règles de l'argumentation. D'autres, les philosophes athées, leur ont adressé des objections. Il existe différents types d'arguments en faveur de l'existence de Dieu. L'argument du dessein fait partie des arguments téléologiques, c'est-à-dire des arguments qui mettent en jeu la finalité apparente du monde. Le mot "dessein" désigne le projet, l'intention.

Richard Swinburne, un philosophe britannique contemporain majeur en philosophie de la religion, a récemment proposé une formulation précise et formellement valide de cet argument. Je propose d'en faire un compte-rendu en suivant la lecture de son article "The Argument from Design" paru dans la revue Philosophy, n°43 en 1968. Yann Schmitt en a donné une traduction dans Philosophie de la religion. Dieu, le mal, la croyance, Cyrille Michon et Roger Pouivet (Paris, Vrin, 2e éd. 2010).


Présentation de l'argument du dessein :


Swinburne soutient que, si l'on formule correctement l'argument du dessein, c'est-à-dire en respectant les règles de l'argumentation sur les questions de fait, alors aucune objection concernant la forme de cet argument n'est valide. Il propose donc une construction de cet argument de telle sorte que, si l'on veut l'attaquer, on ne puisse le faire que du dehors, sans prendre en faute le raisonnement lui-même.

Tout d'abord, l'argument du dessein consiste à partir du constat de l'ordre ou de la régularité des choses du monde, et à en conclure que cette régularité est l'œuvre délibérée d'un agent rationnel, sans corps, libre, très puissant. Il y a donc trois étapes dans l'argument : l'affirmation de départ, qu'on appelle la prémisse, puis la justification qui permet de conclure.


La prémisse de l'argument du dessein :


Concernant la prémisse, c'est-à-dire l'affirmation "il y a une régularité ou un ordre dans le monde", il faut commencer par distinguer deux sortes de régularité. La première est la régularité d'ordre spatial, comme par exemple les livres d'une bibliothèque, présents en même temps dans le même espace, qui sont rangés par ordre alphabétique. La deuxième est la régularité d'ordre temporel, qui porte sur les successions de phénomènes, comme par exemple lorsque vous conduisez une voiture (ou une moto, un vélo, une trottinette, peu importe) et que vous tournez le volant, cela tourne les roues et modifie la trajectoire de la voiture. Ces deux exemples portent sur des régularités causées par les humains, mais l'argument du dessein portera évidemment sur les régularités naturelles.


Partir des régularités temporelles dues aux lois de la nature :


Swinburne propose de construire l'argument du dessein uniquement sur la régularité temporelle ou de succession, c'est-à-dire la régularité du monde qui concerne les lois de la nature. Pourquoi ? Parce que la régularité spatiale peut s'expliquer par une explication scientifique normale : il n'est donc pas nécessaire de faire appel à l'existence d'un agent rationnel très puissant pour l'expliquer. Or, l'idée de l'argument du dessein est justement de montrer que, sans l'hypothèse d'un Dieu, on ne peut expliquer de manière satisfaisante l'ordre du monde qu'on constate.

Pour le dire autrement, il n'est pas pertinent de commencer l'argument en donnant comme exemple l'arrangement subtile des organes d'un corps. Beaucoup diront par exemple : "Regardez comment est constitué l'œil, de quelle façon tous ses éléments différents (cellules de la rétine, iris, pupille, orbite, nerf optique) s'emboîtent et se coordonnent de telle sorte que l'œil voie ! Ce ne peut être que le produit d'une volonté divine." Justement, dit Swinburne, cela peut être dû à autre chose. En effet, on peut expliquer cet ordre spatial par la théorie de l'évolution par sélection naturelle, telle que présentée par Darwin. Nul besoin donc de se rabattre sur l'hypothèse "Dieu existe", ou "il existe un agent rationnel très puissant et libre qui est responsable de l'ordre du monde."

Donc, la prémisse est précisément : il existe une régularité de succession ou temporelle dans le monde, qui est due à l'opération des lois de la nature.


La justification de l'argument :


Passons à présent au "milieu" de l'argument, à sa justification, qui nous mènera à la conclusion. Comment expliquer qu'il existe une telle régularité due aux lois de la nature elles-mêmes régulières? S'il est possible d'expliquer l'ordre spatial par les lois de la nature (comme nous l'avons dit ci-dessus de l'organisation de l'œil expliquée par la théorie de l'évolution par sélection naturelle), il n'est pas possible d'expliquer l'ordre temporel dû à des lois naturelles en faisant référence à autre chose qu'une autre loi naturelle plus générale. Mais alors, on ne fait que reculer la question. Prenons un exemple : Galilée a formulé la loi sur la chute libre des corps. Cette loi explique les régularités de succession telles que "je lâche un objet, il tombe". Mais comment expliquer la régularité d'une telle loi ? Newton, avec sa loi de l'attraction universelle, propose une explication en donnant une loi naturelle plus générale qui englobe la loi de la chute libre des corps. Mais la question revient : comment expliquer la régularité de la loi de l'attraction universelle ? Il faudrait remonter à nouveau à une loi plus générale encore, et ainsi de suite, jusqu'aux lois fondamentales. Mais ces dernières sont elles aussi régulières ! Deux possibilités s'offrent alors à nous : soit accepter cette régularité fondamentale comme un fait brut, sans explication, soit chercher une explication à ce fait.

Or, Swinburne explique qu'il ne peut y avoir que deux explications possibles :

  • l'explication par causalité scientifique, autrement dit par une loi de la nature plus fondamentale: mais nous venons de voir que nous sommes déjà rendus au niveau des lois fondamentales.

  • l'explication par causalité libre, autrement dit par l'action d'un agent libre opérant un choix rationnel : nous nous servons de ce genre d'explication quand nous demandons raison des actions humaines.

Si la première explication est impossible, et que seule la seconde reste en lice, et qu'elle est elle-même valide, alors nous pouvons sans erreur logique accepter la seconde explication. Comme il y a certaines régularités de succession qui s'expliquent par l'action d'un agent libre, comme par exemple les livres d'une bibliothèque rangés par ordre alphabétique, et comme nous ne disposons pas d'une explication plus satisfaisante (notre deuxième possibilité était seulement d'accepter comme un fait brut l'existence de régularités fondamentales), nous pouvons postuler que toutes les régularités ont pour cause l'action d'un agent rationnel.

Voici notre conclusion justifiée. Il reste cependant à la formuler précisément, ce que je fais (toujours en suivant Swinburne), dans le paragraphe suivant.


Ce que montre l'argument du dessein :


Que prouve précisément l'argument du dessein ? Il prouve qu'un agent rationnel existe, qui n'a pas de corps, qui est libre, qui est très puissant (plus puissant que les humains) et qui est le responsable de la régularité des lois naturelles dans le monde. On peut admettre qu'une telle définition correspond à ce qu'on entend en général par "dieu".

Agent rationnel, c'est-à-dire doué de raison. Sans corps, parce que le corps limite ce qu'on peut contrôler directement. Or cet agent contrôle toutes les parties de l'univers, donc il ne peut être incarné. Très puissant n'est pas synonyme de tout puissant. Il est juste nécessaire à l'argument que cet agent rationnel soit beaucoup plus puissant que les humains. Donc cet argument ne montre pas que le "finalisateur du monde" est omnipotent, omniscient ou parfaitement bon. Il ne montre pas non plus que ce "finalisateur du monde" est le Dieu de la révélation, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.


Faut-il pour autant, lorsqu'on est croyant (juif, chrétien ou musulman), rejeter cet argument au prétexte qu'il ne montre pas qu'un Dieu omnipotent, omniscient et parfaitement bon existe ? ou que le Dieu de la révélation existe ? Swinburne estime que non : il faut concevoir les arguments en faveur de l'existence de Dieu comme un système à différentes pièces qui se complètent. L'argument du dessein permet de montrer un certain point. Mais il ne fonctionne pas seul, ou du moins, seul il fonctionne de façon limitée : il a besoin d'être complété par les autres arguments. Pris tous ensemble, ils forment un tout cohérent qui permet de fonder la foi théiste.


Faiblesse de l'argument du dessein :


L'objectif de Swinburne est de prouver que l'argument du dessein, s'il est bien construit, ne contient aucune erreur dans sa forme. Si l'on veut l'attaquer, lui adresser des objections, on ne peut le faire en pointant une erreur logique dans le raisonnement. Formellement, il est valide. Swinburne tente, à la fin de son article, de montrer que la plupart des objections adressées à l'argument du dessein sont en réalité adressées à un argument formulé à partir d'une prémisse basée sur les régularités spatiales. Mais ces objections ne tiennent pas si la prémisse est basée sur les régularités de succession.

Cependant, l'argument du dessein a bien une faiblesse : sa faiblesse tient au fait qu'il est un argument par analogie. Une analogie est une comparaison entre deux rapports. Les A sont causés par les B. Les A* sont similaires aux A. Donc, en l'absence d'explication plus satisfaisante, nous pouvons inférer que les A* sont produits par des B*, similaires aux B. Dans notre cas, l'analogie se fait entre le rapport des agents humains à leurs actes, et le rapport d'un agent rationnel à l'ordre du monde. Tout comme l'homme est responsable de certaines régularités spatiales et temporelles dans le monde, un agent rationnel est responsable de toutes les régularités du monde.

Or, on pourrait attaquer l'argument en soutenant que l'analogie est trop faible, ce qui affaiblit la probabilité de la conclusion. Pourquoi cette analogie est-elle faible ? Elle l'est à cause des différences entre les effets (certaines régularités artificielles causées par les humains, toutes les régularités causées par les lois de la nature) qui entraînent des différences entre les causes (les humains, peu puissants et incarnés, et l'agent rationnel très puissant et non incarné).

Donc, si l'on veut s'opposer à l'argument du dessein tel qu'il est formulé par Swinburne, ce dernier soutient qu'on ne peut lui reprocher une erreur logique, que son inférence à partir des lois naturelles est correcte, mais qu'on peut lui objecter la faiblesse de l'analogie. Cependant, le défenseur de l'argument aura tendance à souligner que les similitudes sont plus nombreuses que les différences, quand l'opposant fera l'inverse. Le défenseur de l'argument pourra alors toujours arguer que cet argument du dessein ne fonctionne pas seul, mais qu'il est lié à d'autres arguments (cosmologiques, ontologiques) eux aussi logiques, et conduisant à une conclusion plus ou moins semblable. La faiblesse d'une partie du système ne permet pas de conclure à la faiblesse du système dans son entier.

Anne Lemétayer

Les théistes affirment qu'il existe des preuves de l'existence de Dieu. Des philosophes athées les réfutent. De quoi parle-t-on quand on parle de "preuves de l'existence de Dieu" ?


Loupe posée à côté d'un livre relié en cuir.
Livre et loupe. MasterTux de Pixabay

Des arguments plus que des preuves :


Tout d'abord, il faut préciser ce que l'on entend par "preuve". En effet, il ne s'agit pas de preuves au sens juridique ou scientifique du terme. Une preuve scientifique consisterait en une démonstration rigoureuse (de type mathématique) ou en un protocole expérimental échouant à invalider telle ou telle hypothèse (comme en physique, en chimie). Ce type de preuves n'est pas possible au sujet de Dieu : on ne peut ni faire une démonstration mathématique, ni mettre en place un protocole expérimental pour constater son existence.

Il serait donc plus exact de parler d'arguments en faveur de l'existence de Dieu. Thomas d'Aquin, dans sa Somme de théologie, parle de "voies" empruntées par la raison humaine. Il existe une branche de la philosophie, la métaphysique, qui s'intéresse à des concepts qui dépassent (le grec meta signifie "au-dessus") le domaine du monde physique, tels que Dieu, l'âme, la liberté. On appelle théologie philosophique la discipline qui tente, avec le seul recours de la raison, d'élaborer des raisonnements logiques menant à l'affirmation que Dieu existe. On peut la subdiviser en théologie naturelle, qui part de constats sur le monde pour en conclure que Dieu existe, et en théologie rationnelle, qui part de la définition de Dieu pour en conclure son existence. Mais cette subdivision n'est pas déterminante : les termes "théologie naturelle" et "théologie rationnelle" sont interchangeables. Son ancienneté est celle de la philosophie, puisqu'on trouve déjà des tentatives de preuves chez les philosophes grecs de l'Antiquité (Platon ou Aristote, par exemple).


Les arguments a posteriori de la théologie naturelle :


Un argument a posteriori signifie que l'on part des données de l'expérience pour construire un argument. On élabore ainsi un raisonnement de type inductif : on remonte de l'expérience à une vérité qui permet d'expliquer cette expérience. On distingue traditionnellement deux arguments a posteriori de l'existence de Dieu : l'argument physico-théologique (ou téléologique) et l'argument cosmologique.


L'argument physico-théologique :

Aussi appelé téléologique, du grec telos : la fin, parce qu'il part de la considération de l'agencement de la nature, de son ordre, de son ajustement apparemment exceptionnel qui permet le développement de la vie. Le monde se présente à nous sous la forme d'une nature organisée, fonctionnant selon des lois stables. Il tente de montrer que cet arrangement extraordinaire ne peut avoir pour origine des causes mécaniques, purement naturelles, mais que cette origine doit être un être intelligent. Donc Dieu existe.


L'argument cosmologique :

Cet argument part du constat de la contingence du monde (le grec cosmos est pris ici au sens de monde au sens large). C'est pourquoi on l'appelle aussi argument a contingentia mundi. Que signifie que le monde est contingent ? Cela veut dire qu'il aurait pu être autrement, voire qu'il aurait pu ne pas être. Cet argument tente de montrer que ce qui existe a besoin d'une cause pour exister, et que cette cause ne peut être naturelle, mais qu'elle doit nécessairement être surnaturelle. Il faut donc chercher hors du monde sa raison d'être ainsi et pas autrement. On en conclut qu'il existe un créateur intelligent du monde qui a décidé de le faire advenir à l'existence, et de le faire de cette façon. Donc Dieu existe.


Les arguments a priori de la théologie rationnelle :


Un argument a priori signifie que l'on se place en amont de toute expérience, avant toute expérience. On part de l'idée de Dieu telle qu'elle se présente à notre esprit, et on en infère son existence. On pourra ainsi dire que Dieu est conçu comme un être parfait. Or, on ne peut concevoir un être parfait pour lequel l'existence ne serait pas nécessairement incluse dans sa définition, puisque cela serait une imperfection. Donc Dieu existe.

Kant a nommé cet argument "ontologique", du grec ontos : l'être (ici l'être de Dieu). C'est particulièrement ce dernier argument qui a fait coulé beaucoup d'encre philosophique depuis des siècles, tant du côté des philosophes tentant de donner une version valide de cet argument, que du côté des philosophes tentant de les réfuter.


Je me propose d'entrer dans le détail de tel ou tel argument, et de sa formulation donnée par tel ou tel philosophe, dans des articles dédiés, pour ne pas alourdir ce post.


Les arguments contre l'existence de Dieu :


Tout comme il existe une théologie philosophique, il existe une athéologie philosophique. L'athéologien, par le recours de la raison, réfute les arguments en faveur de l'existence de Dieu. L'un des arguments les plus invoqués est celui du mal. Dieu étant défini comme tout-puissant et parfaitement bon, le mal ne devrait pas exister. Or il y a du mal. Donc Dieu n'existe pas (ou alors il n'est pas tout-puissant, ou pas parfaitement bon, ce qui dans les deux cas contredit la conception théiste de Dieu). C'est pour répondre à cet argument du mal que les philosophes élaborent des théodicées.


Références :


Anne Lemétayer

Le fait que les êtres humains soient libres, et qu'ils puissent donc choisir le bien comme le mal, est un argument classique pour expliquer l'existence du mal et justifier Dieu. Mais cette explication pose autant de problèmes qu'elle en résout.


Un homme à un carrefour doit décider quelle route il va suivre.
Homme à un carrefour

Le libre arbitre, une explication classique :


Quand j'ai l'occasion de parler de mon sujet de thèse avec des gens, ils évoquent généralement assez rapidement l'argument du libre arbitre pour expliquer l'existence du mal et justifier Dieu. En effet, si Dieu est parfaitement bon et qu'il est le créateur de ce monde, pourquoi ce monde contient-il des maux divers et variés, qui entrent manifestement en contradiction avec la bienveillance divine ? C'est parce que Dieu a créé les êtres humains avec un libre arbitre. Ils sont ainsi capables de choisir le bien comme le mal. Et sur la masse des êtres humains qui ont existé, qui existent et qui existeront, il y en aura forcément quelques-uns qui choisiront de faire le mal. Donc le mal existe par la faute des êtres humains, et Dieu est ainsi justifié, ce qui est l'objectif de la théodicée.


Un argument qui pose des problèmes autant qu'il solutionne :


Si l'argument du libre arbitre est pertinent et a été développé à de multiples reprises par les philosophes, il n'en reste pas moins qu'il ne peut fonctionner seul, car il pose à son tour des problèmes. On peut les distinguer en deux catégories : les problèmes posés par le libre arbitre en général, quelque soit le contexte de la discussion, et les problèmes posés par le libre arbitre en particulier dans le contexte d'une théodicée.


Les problèmes posés par le libre arbitre en général :


Principalement, il s'agit des preuves dont nous disposons pour affirmer que nous possédons effectivement un libre arbitre. "Libre arbitre" (Free Will disent les Anglais) suppose que notre volonté est capable de s'auto-déterminer, c'est-à-dire de prendre une décision de façon tout à fait indépendante de toute considération et de toute influence, quelles qu'elles soient. Par exemple, nous pourrions prendre une décision en étant libres de l'influence de notre éducation, ou encore de notre caractère, ou même des arguments en faveur ou en défaveur de cette décision.

Or, il est très difficile de penser qu'une telle liberté de la volonté existe. De nombreux philosophes ont écrit à ce sujet, mais l'argument principal réside dans le fait que rien n'arrive sans raison. Tout ce qui est produit a une cause qui le produit. Donc la décision que prend notre volonté, ou disons le fait qu'elle tende vers telle option plutôt qu'une autre doit avoir une cause. L'explication scientifique du monde repose sur cette loi que rien n'arrive sans raison, et donc qu'on peut toujours tout expliquer en référence à une cause productrice. Il serait très étonnant que seule la volonté humaine échappe à ce régime et soit, comme le dit Spinoza, "un empire dans un empire".


Les problèmes posés par le libre arbitre dans le contexte d'une théodicée :


Affirmer que les êtres humains disposent d'un libre arbitre n'est pas non plus suffisant pour justifier Dieu de l'existence du mal. Tout d'abord, on pourrait demander pourquoi Dieu a créé les êtres humains avec un libre arbitre ? Il faudrait alors développer une justification prouvant qu'un monde avec des humains disposant d'un libre arbitre et susceptibles de commettre le mal est meilleur, préférable, plus enviable aux yeux de Dieu, qu'un monde avec des humains voulant et faisant toujours le bien.

Si l'on parvenait à prouver qu'il est préférable que les humains existent et qu'ils aient un libre arbitre plutôt que le contraire, une deuxième question se pose : pourquoi Dieu n'intervient-il pas pour faire cesser le mal provoqué par le mauvais usage du libre arbitre ? Il pourrait tout à fait laisser tel individu choisir de commettre un meurtre et le laisser préparer son meurtre, mais stopper son bras à la dernière minute afin de protéger la victime innocente qui, elle, n'a rien choisi.

Enfin, un problème majeur posé par l'affirmation du libre arbitre en contexte théiste est que cela semble entrer en contradiction avec un autre attribut de Dieu : l'omniscience. On définit généralement Dieu comme un être qui connaît ce qui va se passer. Si réellement les humains possèdent un libre arbitre, Dieu est incapable de savoir ce qu'ils vont décider de faire. En effet, le seul moyen qu'il aurait de le savoir serait soit qu'il l'ait lui-même prévu, soit qu'il connaisse les causes en jeu et leur influence sur la volonté humaine. Un peu comme lorsque nous-même, nous connaissons bien les gens, et nous sommes capables d'affirmer : "Je suis sûre qu'il choisira ceci plutôt que cela !" Mais de ce fait, toute omniscience divine semble empêcher l'existence d'un libre arbitre, et inversement. Si nous sommes réellement libres, Dieu n'a aucun moyen de savoir ce que nous allons choisir, et il découvre donc la marche du monde au fur et à mesure que les humains agissent.


Un exemple de Défense de Dieu par l'argument du Libre Arbitre :


Ces problèmes sont soulevés dans les discussions théistes au sujet de l'existence du mal, et de nombreux philosophes tentent d'y apporter des réponses satisfaisantes. C'est le cas d'Alvin Plantinga, par exemple, dans Dieu, la liberté et le mal. Pour Plantinga, un monde dans lequel les humains ont un libre arbitre a plus de valeur qu'un monde dans lequel ils en sont dépourvus. Ce monde est un état de choses bonnes, qui n'implique l'existence d'aucun mal (étant donné que les humains pourraient tous toujours choisir le bien), mais que Dieu ne peut faire advenir sans permettre le mal (étant donné que les humains pourraient aussi parfois choisir le mal, et que Dieu ne pourrait les en empêcher sans leur retirer le libre arbitre qu'il a lui-même accordé). Par libre arbitre, Plantinga entend la liberté de commettre une action ou de s'en abstenir. C'est-à-dire que même si notre volonté est influencée, au moment où nous nous apprêtons à faire l'action, nous pouvons toujours choisir de nous en abstenir. Ceci permet de résoudre la contradiction avec l'omniscience : on peut tout à fait prédire ce qu'une personne voudrait faire dans telle situation, sans que cela lui retire la liberté de le faire ou de ne pas le faire.


Références :

On trouvera la traduction de Dieu, la liberté et le mal dans Philosophie de la religion. Approches contemporaines, C. Michon et R. Pouivet, Paris, Vrin, 2010.

bottom of page