top of page
Anne Lemétayer

Le libre arbitre : une explication de l'existence du mal ?

Le fait que les êtres humains soient libres, et qu'ils puissent donc choisir le bien comme le mal, est un argument classique pour expliquer l'existence du mal et justifier Dieu. Mais cette explication pose autant de problèmes qu'elle en résout.


Un homme à un carrefour doit décider quelle route il va suivre.
Homme à un carrefour

Le libre arbitre, une explication classique :


Quand j'ai l'occasion de parler de mon sujet de thèse avec des gens, ils évoquent généralement assez rapidement l'argument du libre arbitre pour expliquer l'existence du mal et justifier Dieu. En effet, si Dieu est parfaitement bon et qu'il est le créateur de ce monde, pourquoi ce monde contient-il des maux divers et variés, qui entrent manifestement en contradiction avec la bienveillance divine ? C'est parce que Dieu a créé les êtres humains avec un libre arbitre. Ils sont ainsi capables de choisir le bien comme le mal. Et sur la masse des êtres humains qui ont existé, qui existent et qui existeront, il y en aura forcément quelques-uns qui choisiront de faire le mal. Donc le mal existe par la faute des êtres humains, et Dieu est ainsi justifié, ce qui est l'objectif de la théodicée.


Un argument qui pose des problèmes autant qu'il solutionne :


Si l'argument du libre arbitre est pertinent et a été développé à de multiples reprises par les philosophes, il n'en reste pas moins qu'il ne peut fonctionner seul, car il pose à son tour des problèmes. On peut les distinguer en deux catégories : les problèmes posés par le libre arbitre en général, quelque soit le contexte de la discussion, et les problèmes posés par le libre arbitre en particulier dans le contexte d'une théodicée.


Les problèmes posés par le libre arbitre en général :


Principalement, il s'agit des preuves dont nous disposons pour affirmer que nous possédons effectivement un libre arbitre. "Libre arbitre" (Free Will disent les Anglais) suppose que notre volonté est capable de s'auto-déterminer, c'est-à-dire de prendre une décision de façon tout à fait indépendante de toute considération et de toute influence, quelles qu'elles soient. Par exemple, nous pourrions prendre une décision en étant libres de l'influence de notre éducation, ou encore de notre caractère, ou même des arguments en faveur ou en défaveur de cette décision.

Or, il est très difficile de penser qu'une telle liberté de la volonté existe. De nombreux philosophes ont écrit à ce sujet, mais l'argument principal réside dans le fait que rien n'arrive sans raison. Tout ce qui est produit a une cause qui le produit. Donc la décision que prend notre volonté, ou disons le fait qu'elle tende vers telle option plutôt qu'une autre doit avoir une cause. L'explication scientifique du monde repose sur cette loi que rien n'arrive sans raison, et donc qu'on peut toujours tout expliquer en référence à une cause productrice. Il serait très étonnant que seule la volonté humaine échappe à ce régime et soit, comme le dit Spinoza, "un empire dans un empire".


Les problèmes posés par le libre arbitre dans le contexte d'une théodicée :


Affirmer que les êtres humains disposent d'un libre arbitre n'est pas non plus suffisant pour justifier Dieu de l'existence du mal. Tout d'abord, on pourrait demander pourquoi Dieu a créé les êtres humains avec un libre arbitre ? Il faudrait alors développer une justification prouvant qu'un monde avec des humains disposant d'un libre arbitre et susceptibles de commettre le mal est meilleur, préférable, plus enviable aux yeux de Dieu, qu'un monde avec des humains voulant et faisant toujours le bien.

Si l'on parvenait à prouver qu'il est préférable que les humains existent et qu'ils aient un libre arbitre plutôt que le contraire, une deuxième question se pose : pourquoi Dieu n'intervient-il pas pour faire cesser le mal provoqué par le mauvais usage du libre arbitre ? Il pourrait tout à fait laisser tel individu choisir de commettre un meurtre et le laisser préparer son meurtre, mais stopper son bras à la dernière minute afin de protéger la victime innocente qui, elle, n'a rien choisi.

Enfin, un problème majeur posé par l'affirmation du libre arbitre en contexte théiste est que cela semble entrer en contradiction avec un autre attribut de Dieu : l'omniscience. On définit généralement Dieu comme un être qui connaît ce qui va se passer. Si réellement les humains possèdent un libre arbitre, Dieu est incapable de savoir ce qu'ils vont décider de faire. En effet, le seul moyen qu'il aurait de le savoir serait soit qu'il l'ait lui-même prévu, soit qu'il connaisse les causes en jeu et leur influence sur la volonté humaine. Un peu comme lorsque nous-même, nous connaissons bien les gens, et nous sommes capables d'affirmer : "Je suis sûre qu'il choisira ceci plutôt que cela !" Mais de ce fait, toute omniscience divine semble empêcher l'existence d'un libre arbitre, et inversement. Si nous sommes réellement libres, Dieu n'a aucun moyen de savoir ce que nous allons choisir, et il découvre donc la marche du monde au fur et à mesure que les humains agissent.


Un exemple de Défense de Dieu par l'argument du Libre Arbitre :


Ces problèmes sont soulevés dans les discussions théistes au sujet de l'existence du mal, et de nombreux philosophes tentent d'y apporter des réponses satisfaisantes. C'est le cas d'Alvin Plantinga, par exemple, dans Dieu, la liberté et le mal. Pour Plantinga, un monde dans lequel les humains ont un libre arbitre a plus de valeur qu'un monde dans lequel ils en sont dépourvus. Ce monde est un état de choses bonnes, qui n'implique l'existence d'aucun mal (étant donné que les humains pourraient tous toujours choisir le bien), mais que Dieu ne peut faire advenir sans permettre le mal (étant donné que les humains pourraient aussi parfois choisir le mal, et que Dieu ne pourrait les en empêcher sans leur retirer le libre arbitre qu'il a lui-même accordé). Par libre arbitre, Plantinga entend la liberté de commettre une action ou de s'en abstenir. C'est-à-dire que même si notre volonté est influencée, au moment où nous nous apprêtons à faire l'action, nous pouvons toujours choisir de nous en abstenir. Ceci permet de résoudre la contradiction avec l'omniscience : on peut tout à fait prédire ce qu'une personne voudrait faire dans telle situation, sans que cela lui retire la liberté de le faire ou de ne pas le faire.


Références :

On trouvera la traduction de Dieu, la liberté et le mal dans Philosophie de la religion. Approches contemporaines, C. Michon et R. Pouivet, Paris, Vrin, 2010.

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page